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L'Art de la fugue

Compositeur(s): 
J.-S. Bach
Interprète(s): 
Célimène Daudet
Éditeur: 
Arion
Année de parution: 
2013
Descriptif: 

 

L'Art de la fugue, un Absolu.
Il m'a toujours semblé connaître l'Art de la fugue.
J'en percevais l'immensité, j'en aimais le mystère.
Mystère de l'œuvre inachevée, questionnement face à l'œuvre testamentaire, fascination exercée par la perfection de l'écriture contrapuntique.
Et plus encore, serait-elle destinée à être jouée ?
Je connaissais l'Art de la fugue, comme on connait une légende.
On entend parfois qu'il s'agit d'une œuvre abstraite, aride, austère, froidement réduite à un exercice intellectuel. N'est-ce pas ainsi la condamner au silence ?
J'aimerais pouvoir raconter le voyage qui a été le mien depuis le jour où j'ai ouvert cette partition, pas seulement pour l'analyser ou la lire, mais pour enfin y plonger les mains. L'Art de la fugue, ouvrage d'une extrême hauteur de pensée, respire le travail, le labeur dans toute sa noblesse.
Comme si l'art était aussi artisanat.
Car pour moi, l'Art de la fugue se façonne, se pétrit, se bâtit à la main.
Le sujet du premier contrepoint m'est apparu, à lui seul, comme un tout, à partir duquel l'œuvre pourrait naître et se déployer. J'aime à penser que ces contrepoints et canons seraient issus de cette cellule originelle, cette matière brute donnée comme une vérité.
Mes premiers pas à travers cette œuvre furent avant tout source d'interrogations; face à un texte à la fois complexe et épuré, voire radical, quelle direction prendre ? Quels phrasés, quels tempi, quelles articulations, quelles dynamiques pouvaient s'imposer ?
Peut-être plus encore que pour d'autres œuvres, seuls le temps et la patiente exploration des méandres du contrepoint ont permis un choix. Le piano, et ce qu'il suggère comme variété de dynamiques, de timbres, de plans sonores et de couleurs a élargi mon champ de possibles.
Les métamorphoses infinies du sujet de départ et l'incessant discours des lignes horizontales qui caractérisent et sculptent le contrepoint nous emmènent tour à tour vers des fugues introspectives, dansantes, joueuses, sérieuses, métaphysiques, recueillies...
Et quel étrange et beau paradoxe que de se sentir aussi libre de ses choix dans une musique si savante et construite ! La question de savoir si elle doit être jouée n'a pour moi plus lieu d'être ; c'est une œuvre à laquelle on se doit de donner vie.
Mais alors, peut-elle être écoutée ? Car l'Art de la fugue met à l'épreuve celui qui s'y plonge. Sommes-nous encore prêts à laisser le temps œuvrer, à ne pas rechercher l'immédiateté et les séductions faciles ?
Ce temps retrouvé, indispensable à l'interprète, sera peut-être nécessaire à l'auditeur.

Le disque offre la possibilité de décider du moment où l'on souhaite s'immerger dans une œuvre et permet de s'accorder le temps de l'écoute, de la ré-écoute afin d'en déceler les richesses.
J'ai fait le choix de réunir les fugues par genre (contrepoints simples, contrepoints en mouvement contraire, contrepoints doubles et triples, contrepoints en miroir, dernier contrepoint inachevé) et de les ponctuer de canons, imaginés comme des respirations ou des divertissements improvisés.
Tel est le cheminement que j'aimerais proposer à travers l'Art de la fugue, œuvre qui nous réapprend le temps, le besoin de temps, l'acceptation du temps.
"Chaque soir, je me replonge, une demi-heure durant, dans le Kunst der Fuge. On ne sent plus là ni sérénité ni beauté, mais tourment d'esprit et volonté de plier des formes, rigides comme des lois et inhumainement inflexibles. C'est le triomphe de l'esprit sur le chiffre. Et avant le triomphe, la lutte. Et, tout en se soumettant à la contrainte, tout ce qui se peut encore, à travers elle, en dépit d'elle, ou grâce à elle, de jeu, d'émotion, de ten- dresse, et, somme toute, d'harmonie." André Gide (Journal, année 1921)

Célimène Daudet

Critique(s) : 
"La pianiste confirme ici ce que nous avons apprécié dans son précédent enregistrement, A Tribute to Bach, sauf que le fait d’envisager l’ensemble d’un disque comme une œuvre en soi, musicalement cohérente, lui est ici imposé. Son jeu legato régulier (dans Bach, comme on ne peut s’empêcher de penser à Glenn Gould, on y pense) dans les doigts et dans l’humeur, qui détaille clairement chaque partie, installe un sentiment serein, délicat, doublé d’une autorité auguste, une puissance assurée et imperturbable, qui s’impose sans effet de manche. Cela est particulièrement réussi dans ce répertoire où les sujets animent certes les voix et leurs rencontres, mais dans un cadre clos et immuable, où les insolites barres de fin et ici la fatidique mesure 239 du XIVe contrepoint, délimitent en fait des fragments d’éternité. Un CD d’exception." Jean-Marc Warshawski, Musicologie (23/08/2023)